RAPPORT DE VOYAGE EN GUINEE
Traduction de l'article de Sylvain Leroux paru sur Afropop.org
De retour d’un voyage rempli d’expériences en tant qu’artiste, étudiant, professeur, directeur, père, frère, oncle, ami, mentor, hôte et amateur de plein air. Plusieurs fils conducteurs de ma vie s’y sont rejoints, anciennes et nouvelles relations se sont entremêlées et en ces 40 jours une ère semble s’être terminée.
Sylvain Leroux enseignant à l'école fula flute (photo de Naby Camara).
Mariage
D’abord, le mariage de notre fille guinéenne Gambalou. Pour cette occasion, notre famille fut bien représentée étant joint par mon épouse Magali, mon frère Michel et sa fille, ma nièce, Zofia.
En Guinée, un mariage n’est pas l’affaire d’un seul jour, il y a plusieurs évènements, chacun représentant l’occasion d’apparats renouvelés. En premier a lieu le « Dembadon », la fête de la mariée, on ferme la rue, les griots viennent jouer, on danse jusque dans la nuit et l’argent sort! (1)
Le lendemain dans la cour familiale se tient sous une grande tente la cérémonie religieuse; l’harmonie, la paix et le respect règnent. L’Imam qui y préside, un sage homme dans la cinquantaine, nous souhaite gracieusement la bienvenue. Discours, prières et rituels ont lieu. Ensuite, nous sommes invités à une réception dans la famille du marié où il y avait un DJ et son MC et nous avons dansé et l'argent est sorti !
Le troisième jour, la grande cérémonie civile à la mairie fut, elle aussi, suivie d’une grande danse publique où les griots ont chanté, on a dansé et sort de l’argent !
Suite à tout cela, la mariée se retire une semaine dans sa chambre chez la famille de son mari et à la fin de cette période, elle prépare son premier repas qui est offert aux convives ; les musiciens jouent, c'est la fête ; on danse et l'argent sort !
Ce jour-là, des jeunes artistes de l’école fula flute et moi-même avons joué. On a commencé par le doudounba (2) avec les percussions traditionnelles puis Gambalou est venue nous servir et on a fait la pause pour manger. Après cela, on a pris les flûtes et la fête reprit de plus belle. Gambalou a émergé dans une jolie tenue jaune et noire et avec toute sa compagnie ont fort dansé.
Tyabala
Entretemps à notre école, je me suis occupé à enseigner aux petits et grands, à fabriquer des flûtes et à prendre la température des choses. Nos directeurs Momo et Véronique étaient tous deux affligés dans leur santé et ne pouvaient pas assumer pleinement leurs responsabilités. Mais, malgré un certain laisser-aller, l’enseignement s’y poursuivit normalement. J’ai rencontré cinq nouveaux élèves; trois petits, un jeune adolescent et une jeune femme qui fut accueillie parce qu’en situation difficile.

Classe de Baba Gallé Barry (photo de Sylvain Leroux)
Je suis confortablement logé à proximité dans la famille de Mamady Mansaré où on y joue de la flûte quotidiennement. Mamady, doyen de notre école, m’a accueilli avec un lot d’encore 25 flûtes qu’il a fabriquées en me disant que je suis le seul à qui il les fournit. Un grand honneur et une grande responsabilité.
Doucki
Après le mariage, nous sommes partis avec Michel, Zofia et Naby Camara—ainé de notre école et excellent flûtiste—à la découverte du Fouta Djallon une région montagneuse surnommée « le château d'eau d'Afrique de l'Ouest » et terre des peuls.(3)

Panorama au Fouta Djallon (photo de Sylvain Leroux)
Douldé, le chauffeur qui nous y amena pourrait probablement conduire aux 24 heures du Mans ce qui était un peu épeurant, mais en disant un grand « inch Allah » (la volonté de Dieu), ainsi qu’on le fait souvent ici, nous nous y sommes faits. Nous avons traversé Kindia, Mamou, Dalaba et Pita, puis, par d'interminables mauvaises routes, nous sommes arrivés à la tombée de la nuit à Doucki, un petit village au sommet d'une mesa où nous fûmes accueillis par Hassan Bah, un homme court, énergique et positif.
Pendant cinq jours Hassan et sa famille se sont occupés de nous et nous ont guidés dans des randonnées à travers leur extraordinaire pays. Chaque trek portait un nom tel que "les caves", "Indiana Jones" ou "les escaliers". Nous avons contemplé des paysages grandioses, visité des villages traditionnels, marché sur des plaines ensoleillées, traversé de jolies forêts, dégusté des fruits connus et inconnus, vu des animaux : des vaches, des phacochères, des singes, un serpent et, comme dans une galerie d'art naturelle, admiré des rochers sculptés par le temps dans lesquels on peut imaginer toutes sortes de créatures : ici un lion, un éléphant, un poisson, une girafe, ou une femme regardant vers le ciel ; nous avons visité des grottes, et nous sommes baignés dans des cascades et étangs d’eau de montagne, pure et fraîche.
Durant notre première balade, au sommet d’un promontoire rocheux, Naby et moi avons pris les flûtes pour tester l’écho et après un moment, nous avons remarqué sur une autre colline de grands singes noirs avec longue queue blanche, des Colobes noirs et blancs qui s’agitaient. Ils se mirent à grogner en réponse à nos provocantes phrases de fulaflûte. (4) Hassan en est devenu fou, il n’avait jamais vu ça. Il m’a dit plus tard que ces singes venaient de passer la meilleure journée de leur vie.
La dernière balade, clou de la semaine, nous fit descendre jusqu’aux champs de riz au pied de la falaise et remonter par les escaliers traditionnels centenaires; huit constructions dans une faille rocheuse qui consistent en de longs minces troncs d’arbres liés en bottes par des lianes et incroyablement faciles à monter. En tout cas, plus aisés que les collines d’en bas !

Sylvain grimpant les escaliers traditionnels (photo de Naby Camara)
Thomas
Reconduits par Doulde et accompagnés de Naby, Michel et Zofia retournerent à Conakry, d'où ils s’envolèrent pour Montréal. Mais en chemin, je fus déposé à Dalaba où j'y ai rejoint mon frère en fulaflûte, Thomas Vahle.

Thomas Vahle jouant la flûte malinké (photo de Sylvain Leroux)
Thomas et moi avons appris la fulaflûte à peu près en même temps, lui à Dakar et moi à Conakry. Il a depuis élu domicile en France. C’est un puissant flûtiste qui a maîtrisé les techniques complexes de son maître Mamadou Saïdou Sow; et a aussi évolué pendant longtemps dans l’orchestre du légendaire Mory Kanté
En 2019, de passage à Conakry en tournée, Thomas avait visité notre école où il y avait passé plusieurs jours à travailler avec nos élèves, leur enseignant à fabriquer des instruments et jouer de la musique peule. Il fut émerveillé et conquis par leur compétence et enthousiasme. Il avait longtemps rêvé d’une école de musique traditionnelle en Afrique...
Cette fois-ci, il voulut y revenir et s’y impliquer plus profondément. Mais d’abord, il m’a invité à rencontrer son maître qui est retourné vivre dans son village natal de Nakodjé.
Nakodjé
Donc, après une nuit passée dans le confort de l’hôtel Fouta, il m’emmena d’abord rencontrer la famille à Dalaba où nous avons pu entreposer notre trop-plein de bagage chez Mamadou « Pomme de terre », un homme charmant et entreprenant. Nous avons traversé ses jardins prospères jusque dans une grande forêt de pins où il y fabrique des briques de terre cuite.
Après avoir salué la matriarche, nous avons pris, à dos de motos, la mauvaise route—mais quels paysages de toute beauté !—qui, au bout d’une heure et quelques vers la fin de l’après-midi, nous amena au pied de la falaise à Nakodjé.
Le village entouré de forêt consiste d’une place publique entourée de stands de marché, boutiques, café, restaurant et maisons éparses ; soit traditionnelles, rondes avec toits de chaume, soit rectangulaires en briques avec toits de taule ; une boulangerie délivre quotidiennement un pain dont la qualité rivalise avec les meilleures baguettes et, à l’extrémité, une mosquée. Nous faisons le tour et saluons tout le monde et sommes aimablement reçus.

Mamadou Saïdou Sow (photo de Sylvain Leroux)
Saïdou habite un grand terrain en pente situé à l’entrée du village et entouré d’une clôture avec deux petites maisons au centre, une ronde et une carrée dans laquelle nous avons dormi. En lui, on a trouvé un homme un peu fatigué qui cultive des papayes, avocats, manioc, pommes de terre et autres.
Il se trouve, comme c’était le cas à Doucki et pour des raisons apparemment religieuses, qu’il est interdit de jouer de la flûte au village et dans les environs. Nous avons donc passé notre première journée comme ça à ne rien faire. Thomas en fut particulièrement frustré et a commencer à dire qu’on est venus de loin pour jouer de la flûte et que si on ne peut pas le faire ici, on devrait tous trois déménager nos activités à Dalaba.
Le lendemain, Saïdou a annoncé qu’on pouvait s’éloigner du village pour jouer. Nous avons donc pris le chemin derrière la mosquée et après deux kilomètres, nous sommes tombés sur les gens du village qui travaillaient à réparer une pente dans la route de terre. Saïdou, nous a alors invités sur un promontoire et a pris les « lalas » (ou castagnettes) (5), Thomas et moi les flûtes, et avons ainsi passé toute la journée au soleil jouer pour les travailleurs.
Après un bout de temps, des jeunes filles nous entouraient et tapaient des mains dans le rythme en chantant, une maman a pris un seau en plastique comme tambour tandis que les hommes piochaient la route en cadence. De temps en temps, l’argent sortait et allait dans la poche de Saïdou. Des sucreries furent distribuées et plusieurs petites filles vinrent, une-à-une, me faire cadeau d’un bonbon. Quand se fut fini, nous avons rigolé avec les vieux qui regardaient la scène assis dans l’ombre d’un grand rocher.
Ayant ainsi gagné la grâce des villageois, nous avons ensuite pu passer les deux jours qui nous restaient à travailler la flûte avec Saïdou qui, lui, n’a toujours pas joué une note, mais il écoutait, commentait et chantait les phrases. Il a développé une technique de chant avec sauts de registres qui est très belle… mais difficile. Donc, inutile de préciser qu’entre ces deux-là, j’ai bien chauffé, comme on dit ici.
Nous en avons aussi profité aussi pour aller dans la forêt couper des branches de soumboula avec lesquelles on fait les lalas. Thomas va en fabriquer avec les élèves de l’école… plus une paire pour moi !
De retour à Conakry
Thomas fut accueilli dans la famille Mansaré. Son patriarche, Mamady, est reconnu comme le plus grand maître de la flûte malinké. Il est une source intarissable de morceaux dont il connaît les chansons et l’histoire et est maître de l’art de la « flûte parlante » où on énonce des phrases complètes dans l’instrument. Il a tourné à travers le monde pendant 40 ans avec les Ballets Africains. Je ne pouvais nommer aucun pays où il n’est pas allé. Jusqu’à présent, le parcours de fulaflûte de Thomas fut strictement en style peul, voici donc l’occasion pour lui de chauffer à son tour !
Mamady Mansaré in the workshop area of his courtyard (photo de Sylvain Leroux)
La famille et ses locataires vivent dans la grande cour que Mamady a bâti à Kokoma en banlieue de Conakry—alors que le coin était rural ce qui n’est maintenant plus le cas—un quartier situé à 1 km au sud du rond-point T7. Dans le quartier de Sonfonia Gare au nord de ce rond-point et à une distance équivalente, se trouve notre école. L’arrangement chez Mamady est donc très bon, car il nous permet de nous y rendre à pied et d’éviter la circulation infernale de cette ville. Il faut quand même bien se surveiller quand on déambule pour éviter d’être happé par un véhicule ou de mettre le pied dans un fossé dégueulasse.
Le toit
Arrivant à l’école—où nous assistons aux classes de flûte peul de Baba Gallé, de percussions de Bouba et de solfège de Tanly—nous sommes très agréablement surpris de trouver qu’un toit fut érigé au-dessus de la grande scène de la cour qui était précédemment inutilisable, car baignée toute la journée de soleil torride et, donc maintenant, nous avons une nouvelle grande et confortable salle de classe.
Ce toit est un don de l’Association Tyabala, un organisme crée en France par notre bienfaitrice Cathy Monnet et ses amies qui, depuis des années, s’efforcent de lever des fonds pour nous. Cette année, elles nous ont offert le toit ainsi qu’un assortiment de tenues de sport et un complément de ventilateurs pour les chambres des enfants.

Cathy Monnet devant le toit qu'elle et son Association Tyabala ont bâtit (photo de Sylvain Leroux)
ISAMK
Notre directeur Momo, qui y travaille, nous a programmés Thomas et moi pour deux jours d’enseignement à l’Institut Supérieur des Arts Mory Kanté.(6). Cette classe consista d’étudiant de 2eme année dont la majorité jouent aux claviers. Deux d’entre eux possédaient une flûte de type malinké, décorée de cuir et de cauries.
Passant par une discussion de la physique du son et des harmoniques, nous avons expliqué comment la fulaflûte arrive à produire une gamme de sept notes avec seulement trois trous. Puis, Thomas et moi avons démontré nos innovations respectives et avons passé le reste du temps à discuter des modes, les couleurs musicales qu’ils génèrent et comment ils sont utilisés, particulièrement en musique guinéenne.

Sylvain Leroux et Thomas Vahle enseignant à l'ISAMK (photo de Thomas Vahle).
Les étudiants furent très engagés et la direction de l’ISAMK fut très satisfaite de l’expérience. En conséquence, nous allons bientôt y envoyer un de nos diplômés pour y enseigner la flûte.
Diplômes
Avant mon départ, il me restait à présider à notre concours et à la remise des diplômes. C’était normalement prévu pour le jeudi, mais des manifestations politiques ce jour-là nous ont forcés à reporter pour des raisons de sécurité. Donc vendredi à l’ombre de notre nouveau toit, les élèves étaient là avec leurs maîtres—Momo Sylla, directeur; Veronique Lamah, superviseur et professeur de théâtre; Mohamed Mmah Camara prof d’alphabétisation; Mamady Mansaré, prof de flûte Malinké; Baba Gallé Barry prof de flûte peul; Bouba Mbeng, prof de chant, percussions, ngoni, etc.; Djamady Kouyate, prof de kora; Seydou Tanly, prof de solfège; ainsi que nos bienfaitrices Cathy et Nadine, notre ami Thomas Vahle et moi-même.
Quatre candidats avaient postulé au diplôme : Fatoumata Soumah qui, ayant échoué l’an dernier, faisait une nouvelle tentative ; et les garçons Seydouba Kouyaté, Seydouba Cissé et Alhassane Cissé. Nous les avons soumis à des tests à la flûte malinké, la flûte peul, en solfège, et au ngoni, kora, bolon et diverses percussions (djembe, kinkeni, doundoun, etc.).
À l’analyse des résultats, il fut déterminé que deux candidat(e)s avaient réussi de façon éclatante : Fatoumata Soumah avec 87% et Seydouba Kouyaté avec 90%. Mais les deux autres n’ayant pas atteint le seuil des 60% requis furent invités à se concentrer et réessayer l’an prochain.
Aux applaudissements de tous, nous avons fièrement octroyé ces diplômes à nos lauréat(e)s ainsi qu’un complément, à chacune et chacun, de trois flûtes, puis les élèves ont joué quelques morceaux en célébration.
Rangée d'en haut, de gauche à droite: Delphine, Thomas Vahle, Momo Sylla, Baba Gallé Barry, Fatoumata Soumah (diplômée), Seydouba Kouyaté (diplomé), Bouba Mbeng, Mamady Mansaré, Seydou Tanly, Mohamed Mmah Camara, Sidiki Camara (diplômé de l'an dernier). Rangée du milieu: Michael, Alia, Seydouba (behind), Yamoussa. Rangé du bas: Aboubacar Soumah (diplômé de l'an dernier), Sylla, Youssouf, Alseny, Ibrahima, Evelyne, Alhassane. (photo de Sylvain Leroux)
Le surlendemain, je me suis envolé vers New York, alors que Thomas restait encore pour une semaine à travailler avec les élèves à leur enseigner la musique et à fabriquer des lalas et des flûtes.
La fulaflûte m'a mis sur la voie d'une recherche aux frontières de la culture mondiale et m'a accordé l’honneur d’en transmettre l'amour à une nouvelle génération. Voici maintenant 28 ans depuis mon premier voyage en Guinée pour apprendre l’instrument qui a enrichi ma vie, un pays immensément riche, en bauxite, fer, uranium, or, diamant, pétrole, eau, agriculture, pêcheries… oui ! Mais surtout riche en humanité, culture et beauté.
(1) Lorsqu'ils sont célébrés ou touchés par eux, les gens donnent de l'argent aux griots et aux artistes.
(2) Doudounba peut signifier un rythme, une danse et une fête. Dans ce cas-ci, ce sont les trois.
(3) Les peuls, ou Fulanis, représentent la majorité de la population de Guinée où, contrairement à la plupart de leurs parents nomades à travers l'Afrique, ils ont adopté ici un mode de vie sédentaire.
(4) Le terme « fulaflûte » désigne ici la flûte traversière guinéenne générique à trois trous. « Flûte peule » et « flûte malinké » s'appliquent à des styles spécifiques de jeu et de fabrication.
(5) Le lala est l'instrument de base de la musique peul, où il y joue un rôle équivalent à celui du clavé dans la musique cubaine.
(6) Précédemment connu sous le nom d’ « Institut Supérieur des Arts de Guinée » (ISAG).
Sylvain Leroux est un musicien basé à New York qui joue de plusieurs instruments mais se spécialise dans la fulaflûte de Guinée. Il voyage dans ce pays d'Afrique de l'Ouest pour y étudier littéralement depuis des décennies. Mais en 2013, il s'est engagé dans un ambitieux projet local, une école visant à enseigner aux jeunes Guinéens la musique traditionnelle. Si l'école fula flute a une vie riche en péripéties : déménagements, recrutement de professeurs, levées de fonds, etc., un bon nombre de jeunes musiciens talentueux en sont issus. Au début de 2023, Sylvain est retourné en Guinée pour poursuivre ses propres recherches, travailler avec l'école et renouer avec de vieux amis. Voici son rapport sur le voyage.